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De l’improvisation

Voici un petit article dans lequel les professionnels n’apprendront rien de nouveau, mais que j’ai souhaité abordable aux débutants, aux amateurs et aux élèves musiciens. C’est un point de vue général sur l’improvisation et le jazz, et l’approche du travail que je fais pour moi-même. Je pourrais bien entendu développer certaines choses ultérieurement, pour ceux que ça intéresse.



De l’improvisation
   Un des avantages de l’enseignement de la musique de jazz, ou plutôt de la tentative d’enseignement du jazz (tant il est difficile de théoriser cette musique), est la remise en question permanente de la question de l’improvisation. Renouveler son inspiration, changer de point de vue, adopter d’autres positions, sont des conditions indispensables pour garder un regard frais sur son travail. Ceci est aussi valable pour d’autres formes d’art, et sans doute pour toute forme de travail un peu approfondi, mais, me semble-t-il, particulièrement valable pour le jazz et l’improvisation.
   En musique, l’improvisation peut se définir grossièrement comme une suite de notes (ou d’accords), de sons, inventés en temps réel par l’instrumentiste, sans préparation écrite préalable. Pour certains, l’improvisation sous-entend la liberté de jouer ce que l’on souhaite au moment où on le souhaite. Ce qui peut amener les débutants à croire que l’on fait « n’importe quoi » en improvisant. Bien entendu, il n’en est rien. Il y a toujours un contexte musical qui conduit l’improvisateur. Cela peut être la mélodie, les harmonies du morceau, ou bien le rythme (pour les percussions notamment). Mais aussi simplement le contexte sonore ou le climat du morceau (joyeux, triste, angoissant, paisible, etc…). On peut trouver d’autres systèmes sur lesquels se baser pour improviser, mais je pense avoir cité les principaux, ou au moins en ce qui concerne la musique que je connais. 
   Néanmoins, on ne peut négliger l’aspect culturel de chaque peuple à développer son langage musical et son approche des sons. La plupart des musiques de cette planète sont de traditions orales, par conséquent elles évoluent en fonction du contexte général de vie de leurs populations. Cela est valable aussi pour le cas particulier du jazz, qui a connu une rapide évolution stylistique durant un siècle, une « tradition » nécessaire mais dépassable, des codes changeants en fonction de ses interprètes, un répertoire de mélodies inépuisable (standards, blues, etc…). Basées sur l’improvisation, ces musiques peuvent-elles connaitre des limites à leurs évolutions, autres que des limites liées à un style précis ? 
1- le cas particulier du jazz
   Il serait impossible de définir l’improvisation dans le jazz en quelques lignes, mais on peut tout de même remarquer des éléments communs à presque toutes les époques de l’histoire du jazz. 
Le jazz est essentiellement une musique tonale, très mélodique, basée sur le swing. Par conséquent les improvisateurs utilisent l’harmonie: des cadences formées par des accords (donc des gammes) aux fonctions précises. Déjà, on s’aperçoit du cadre très précis qu’impose l’harmonie pour le musicien. Mais les possibilités de développement sont immenses, et par conséquent l’improvisateur dispose d’une très grande marge de manoeuvre dans son discours.
   Le jazz possède aussi une grande richesse rythmique, qui se traduit par un phrasé particulier, une grande place laissée aux syncopes, des accentuations décalés, un ressenti vraiment unique dans l’histoire de la musique, ce qu’on appelle le « swing ». C’est pour moi un « feeling » vraiment propre au jazz. J’entends dire parfois que Bach ou Beethoven swinguaient en leurs temps. Cela me parait faire un amalgame un peu rapide. Il est judicieux de dire que les jazzmen utilisent les trouvailles harmoniques que Bach utilisait aussi, certainement. Mais adapter du Bach en jazz ne signifie en aucun cas que Bach swinguait. Ou Chopin. Le matériau peut-être travaillé d’une certaine façon, mais cela ne veut pas dire qu’il ait été inventé pour cet usage.
   De plus, il est judicieux de noter l’importance de la mélodie dans le jazz. Comme en musique classique, la puissance d’une mélodie peut se suffire à elle-même. Pour l’improvisateur, cette mélodie devient naturellement une base solide pour des variations plus ou moins compliquées. 
   L’analyse de ces trois points importants (l’harmonie, le rythme, la mélodie) permet de se faire une idée de la manière d’aborder l’improvisation pour l’étudiant.
 2-Quelques idées pour l’apprentissage du jazz
   Il me semble que la clé d’un bon apprentissage est dans l’imitation.
Contrairement à ce que l’on peut entendre autour de soi sur l’importance de trouver sa « voie » en musique, son « truc », je crois qu’il faut tout d’abord recopier les maîtres. Peut-être même avant de comprendre ce que l’on fait. Un peu comme l’apprentissage de la langue chez l’enfant. D’abord les sons, ensuite le sens. 
Le jazz est une culture, un langage. Il y a des codes, un « son », une façon d’aborder les thèmes, l’harmonie. Et comme dans toutes les cultures, des multitudes de styles différents, des personnalités, des choix. 
Je ne dis pas qu’il faille absolument rester dans une tradition établie et n’en plus sortir, pas du tout. Au contraire, il faut évoluer, travailler pour participer du mieux possible à cette grande aventure musicale qu’est le jazz. Je dis simplement qu’il y a une histoire, une progression. Un maçon apprend à construire un mur droit avant de faire une maison. On peut apprendre à nager en se jetant à l’eau, mais on arrivera bien plus vite à faire des longueurs si on nous a appris à respirer correctement. 
Bien entendu, je ne renie pas du tout le plaisir de s’amuser en inventant au hasard sur son instrument, au contraire. L’enfant barbote avant de nager, et c’est un préavis nécessaire.
   Pour ce qui nous concerne, le plus simple pour commencer, mais sans doute le plus important à mon avis, est de connaître la mélodie du morceau que l’on souhaite travailler avant toute chose. La connaître signifie aussi savoir la « phraser » correctement. Cela implique déjà d’intégrer la sensation du swing. Pouvoir la chanter est aussi un avantage certain. Tout simplement en la jouant avec un disque, jusqu’à l’imitation parfaite. Ce qui n’est déjà pas si évident.
Ensuite, on pourra s’intéresser aux accords, aux solos. Que joue tel musicien sur tel morceau ? Que fait plutôt cet autre musicien ? Etc…
On peut relever à peu prés tout ce qui nous plaît sur un disque, accompagnements, solos, intros, codas, s’intéresser à l’interaction entre les musiciens, etc…
Comme les lecteurs de mon blog peuvent le voir, je relève essentiellement des pianistes, le piano étant mon instrument principal. J’essaie de repérer les choses qui me plaisent, et qui me semblent faire partie du langage du jazz. Je n’approfondirai pas ici la technique pure du travail personnel (1).
   Une fois ce travail fourni, il reste à l’intégrer. Pour cela, il faut bien évidemment comprendre ce qu’on a relevé, et savoir le replacer, le transposer, etc. Les standards sont une base utile pour ce travail (2). Il ne faut pas hésiter à travailler ce qu’on a relevé sur un autre morceau, là où les harmonies le permettent. 
Après avoir « usé » un plan pendant des heures en le jouant un peu partout, on pourra avoir la bonne surprise un jour de l’entendre ressortir presque naturellement sous nos doigts pendant une répétition en groupe ou une séance de travail.
   Contrairement à ce qu’on pourrait croire d’après mon discours, travailler de la sorte ne fait pas de nous des perroquets, car l’improvisation est bien plus complexe qu’une simple imitation. On apportera toujours au morceau une part de notre personnalité, c’est une condition inévitable dans l’improvisation. L’important me semble d’avoir le maximum de vocabulaire (dans un style donné) pour posséder le maximum de liberté de jeu.
   J’insisterai encore sur ce travail d’écoute et d’immersion dans la musique de jazz. Il n’y a pas meilleure école qu’aller dans le pays dont on veut apprendre la langue. Pour apprendre le jazz, il faut en écouter beaucoup, jouer avec d’autres musiciens cette musique, prendre goût à ce travail minutieux d’imitation, et ne pas s’effrayer des difficultés croissantes qui apparaissent au fur et à mesure du travail…
3-Et après ?
   Le langage du jazz a rapidement évolué en une centaine d’années d’existence. Les modes de jeu, les trouvailles harmoniques, beaucoup de choses ont été jouées. Je ne me pose pas beaucoup la question d’une évolution ou d’une modernité dans le jazz. L’improvisation est une chose intemporelle, et le sera toujours bien sûr. La musique s’est complexifiée, le niveau technique général a beaucoup augmenté. Avec la technologie, nous avons accès à toutes formes de média désormais. Et je pense qu’il est important qu’il y ait une recherche musicale constante, tout du moins une curiosité toujours en éveil sur ce qui existe à notre époque, car il est très difficile d’innover à l’heure actuelle. Bien que je n’ai pas vraiment entendu de choses nouvelles au niveau du langage dans le jazz d’aujourd’hui, j’ai remarqué que l’approche peut être différente, au niveau des formes, des sons, des dynamiques.  
   Le fond de ma pensée est que je n’ai jamais considéré l’innovation comme une nécessité dans la musique. J’ai joué et je joue toujours (et je ne suis pas le seul…) du Chopin, du Bach, etc… sans chercher à ré-inventer quoi que ce soit. La ré-appropriation est ailleurs. Il en est de même avec l’improvisation et le jazz. Chacun peut apporter quelque chose au style qu’il préconise, l’enrichir de sa propre expérience. C’est pourquoi le mot tradition n’a plus beaucoup de sens pour moi aujourd’hui en musique. Par contre il existe une filiation constante entre les musiciens de différentes générations. Personne ne sort de nulle part. Tout le monde se nourrit de ses aînés.
   Et après, c’est une histoire de goût, de passion et de rencontres, avec pour seules limites celles que l’on s’impose. 
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(1) d’autres articles sur les techniques de travail sont disponibles en cliquant sur le libellé méthode.
(2) ici une liste des principaux standards à connaître, issue du livre de Mark Levine « The jazz piano book »

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2 commentaires sur “De l’improvisation”

  1. Salut Florent et Bonne année 2013!!Je me permets de te contacter concernant le dernier article que tu as mis en ligne (très interessant d'ailleurs.) Je suis moi même enseignant en piano jazz au sein d'un conservatoire et j'aurai bien aimé échanger avec toi sur la pédagogie (pianistique ou non de cette musique). Je prépare mon DE.Je me suis inscrit à ta newsletter tu as mon mail normalement. Je te remercie Emmanuel

  2. Bonjour, j'ai malheureusement supprimer la newsletter, car je n'en vois pas l'intérêt pour le moment, tout est dispo sur mon blog….Vous pouvez m'envoyer un mail bien sûr sans problème avec vos questions !Si la discussion est intéressante, il se pourrait que je publie ici nos échanges. Ma démarche est de fournir un maximum d'informations sur le jazz, son apprentissage et sa pratique, car je ne trouve cela nulle part.

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